“Ce miracle ne dénoua pas le drame, il l’effaça, tout
simplement, comme la lumière, l’ombre. Aucun drame n’avait plus
eu lieu. Ce miracle ne modifia rien qui fût visible. La mauvaise
lampe à pétrole, une table aux papiers épars, les hommes adossés
au mur, la couleur des objets, l’odeur, tout persista. Mais toute
chose fut transformée dans sa substance même. Ce sourire me
délivrait. C’était un signe aussi définitif, aussi évident dans ses
conséquences prochaines, aussi irréversible que l’apparition du
soleil. Il ouvrait une ère neuve. Rien n’avait changé, tout était
changé. La table aux papiers épars devenait vivante. La lampe à
pétrole devenait vivante. Les murs étaient vivants. L’ennui suinté
par les objets morts de cette cave s’allégeait par enchantement.
C’était comme si un sang invisible eût recommencé de circuler,
renouant toutes choses dans un même corps, et leur restituant une
signification.”
(http://wqref.free.fr/Wqref/livres/Saint-Exup%E9ry,%20Antoine/St-Exupery%20-%20Lettre%20A%20Un%20Otage.pdf)