“Sa silhouette était légère et vive ; la bouche si éclatante, qu’il semblait que le Créateur, ayant pris dans sa main du carmin chaud, avait saisi la partie inférieure de son visage dans sa paume.” — Vladimir Nabokov - Un Coup d'aile March 02, 2014 by Willy Braun
“Je le savais : tu avais besoin de sentiments simples, de paroles simples. Tu te taisais avec légèreté et insouciance, comme se taisent les nuages, les plantes. Tout silence contient l’hypothèse d’un secret. À beaucoup tu semblais secrète.” — Vladimir Nabokov, Bruits March 02, 2014 by Willy Braun
“Il fallut claquer la fenêtre : la pluie, en frappant le rebord, éclaboussait le parquet, les fauteuils. D’immenses spectres d’argent surgissaient en glissant dans un bruissement frais, à travers le jardin et les feuillages, sur le sable orangé. La gouttière grondait et gargouillait. Tu jouais du Bach. Le piano avait soulevé son couvercle laqué, sous le couvercle il y avait une lyre posée à plat, les marteaux frappaient les cordes. […] Après avoir délaissé les albums qui étaient sur la table telles des tombes de velours, je te regardai, j’écoutai la fugue, la pluie et un sentiment de fraîcheur monta en moi, comme la senteur des oeillets mouillés émanant de toutes parts, des étagères, du couvercle, du piano, des pendeloques oblongues du lustre. C’était une sensation d’un équilibre exaltant : je percevais le lien musical entre les spectres d’argent de la pluie et tes épaules baissées qui tressaillaient lorsque tu enfonçais tes doigts dans le miroitement mouvant. Et, quand je plongeai en moi-même, le monde entier me sembla achevé, cohérent, relié par les lois de l’harmonie. Moi, toi, les oeillets étaient à cet instant des accords sur les portées. Je compris que tout dans le monde est un jeu de particules semblables constituant de multiples consonances : les arbres, l’eau, toi…” — Bruits, Vladimir Nabokov March 01, 2014 by Willy Braun
“Martyn Martynytch me posa la main sur l’épaule, me secoua de telle sorte que si j’avais été un pommier de son jardin, des pommes seraient tombées.” — Ici on parle russe, Vladimir Nabokov March 01, 2014 by Willy Braun
Je voulais lui expliquer la beauté de mon pays et l’effroi de ses noires torpeurs, mais je ne trouvais pas les mots nécessaires. Me dépêchant et me répétant, je ne cessais de balbutier des mots sur des détails, sur une maison qui avait brûlé, où jadis le lustre du soleil sur les lames du parquet se reflétait dans un miroir incliné, je balbutiais des mots à propos de vieux livres et de vieux tilleuls, de bibelots, de mes premiers poèmes dans un cahier d’écolier bleu cobalt, d’un rocher gris recouvert de framboisiers sauvages au milieu d’un champ parsemé de scabieuses et de marguerites, mais je ne pouvais absolument pas dire l’essentiel, je m’embrouillais, je restais sans voix, et je reprenais au début, et dans un bafouillage impuissant je recommençais à parler des pièces de la gentilhommière fraîche et sonore, des tilleuls, de mon premier amour, des bourdons qui dorment sur les scabieuses… Je croyais pouvoir parvenir d’un instant à l’autre à l’essentiel, lui révéler tout le chagrin de ma patrie, mais, pour je ne sais quelle raison, je n’étais capable que de me souvenir des petites choses, tout à fait terrestres, qui ne savent ni parler ni verser ces grosses larmes brûlantes et effroyables que je voulais mais ne pouvais raconter…Je me tus, je relevai la tête. L’ange, immobile, me regardait de ses yeux allongés et adamantins, avec un sourire doux et attentif, et je sentis qu’il comprenait tout… « Pardonne-moi, m’écriai-je en baisant timidement la tache sur son pied lumineux, pardonne-moi de ne savoir parler que de ce qui est fugace et négligeable. Mais tu comprends, tout de même… Ange gris et miséricordieux, réponds-moi, aide-moi, dis-moi ce qui sauvera mon pays ! »Après avoir enlacé un instant mes épaules de ses ailes gorge-de-pigeon, l’ange proféra un seul mot, et dans sa voix je reconnus toutes les voix que j’avais aimées et qui s’étaient tues. Le mot qu’il prononça était si beau que dans un soupir je fermai les yeux et baissai plus encore la tête. Ce fut comme un parfum et un tintement qui s’écoulèrent dans mes veines, ce fut comme le soleil qui se levait dans mon cerveau, et les vallées innombrables de ma conscience reprirent, répétèrent cette sonorité lumineuse et paradisiaque. Je m’en emplis ; elle battait dans mes tempes en un réseau subtil, elle tremblait comme l’humidité sur mes cils, elle soufflait en un froid délicieux à travers mes cheveux, elle baignait mon coeur d’une chaleur divine. Le Mot - Vladimir Nabokov February 24, 2014 by Willy Braun